Climat et éducation : pour une refonte des cursus des étudiants en droit

By Fanny Vanrykel
Published on October 27, 2022


Le franchissement des limites planétaires et les crises énergétiques et alimentaires auxquelles nous faisons face soulignent la nécessité d’une transition écologique socialement juste. Nombreux sont à le constater, nous sommes entrés dans un ‘nouveau monde’. Dans ce nouveau monde, la non soutenabilité de nos comportements, mise en évidences depuis des décennies déjà, se fait sentir. Dans ce nouveau monde, l’heure est à l’action et non plus à la contemplation. L’éducation est clé dans ce tableau. Elle permet de comprendre les enjeux des changements qui se jouent actuellement et de donner les outils pour en initier de nouveaux. Or, la déconnection entre les systèmes d’éducation et les enjeux actuels est marquante. Depuis plusieurs années déjà, les élèves abandonnent les bancs de l’école pour rappeler à leur ainés, l’urgente nécessité d’une transition écologique et sociale. D’autres appellent à déserter les métiers destructeurs, à faire le choix de la bifurcation. Une réforme de l’éducation se pose donc, et ce à tous niveaux.

Dans cette contribution, je me concentrerai sur un domaine avec lequel je suis familière : l’enseignement du droit. Le but de ce post est de susciter un débat sur l’intégration des questions liées à la transition écologique. Je pars du constat suivant : dans de nombreuses universités, l’enseignement du droit n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Cela ne veut pas dire que rien n’est fait, mais il est possible – et souhaitable – à la fois de faire mieux et plus.

En particulier, les cours de droit de l’environnement sont généralement dispensés comme cours à option (et dès lors non obligatoires) au niveau des Master. En outre, le droit de l’environnement ne se pense pas en vase clos mais s’intègre dans les autres pans du droit.

Il n’existe généralement pas de référentiel commun et obligatoire pour intégrer les questions environnementales dans les autres disciplines juridiques (comme le droit des sociétés, le droit de la concurrence, le droit pénal ou le droit des contrats et des obligations). Enfin, la formation des étudiants passe aussi par celles du corps académique. Les Professeur.e.s en droit ne sont en général pas spécifiquement formés à ces questions. Sans une bonne connaissance du fonctionnement du droit de l’environnement et des principes qui le régissent, le risque est de présenter l’intégration des questions environnementales comme purement techniques ou instrumentales (A ce sujet voy. E. Fisher et al., « Maturity and Methodology: Starting a Debate about Environmental Law Scholarship », Journal of Environmental Law, janvier 2009, vol. 21, n° 2, pp. 213‑250).

L’importance des questions environnementales et les intersections qui existent entre celles-ci et les législations existantes appelle dès lors à réformer le cursus des étudiants en droit. Ce constat est particulièrement marquant en ce qui concerne le changement climatique en raison du fait que presque tous les actes quotidiens émettent des gaz à effet de serre. Je développe ces questions dans l’article « Le climat s’invite dans les facultés de droit: pour le passage d’un droit mineur à un droit majeur », publié dans la Revue de la faculté de droit de l'Université de Liège, 2022/2, 215-230, accessible gratuitement ici.

A ce titre, les intersections suivantes entre droit et changement climatique peuvent être distinguées:

  • le droit comme levier d’action climatique: il s’agit de l’adoption de législations visant spécifiquement à répondre au changement climatique (par exemple l’adoption de standards technologiques ou les marches du carbone). Le droit y est vu comme outil de changement des comportements ;
  • le droit comme levier contre l’inaction climatique: le droit commun de la responsabilité, les droits de l’homme et les principes du droit de l’environnement peuvent être invoqués pour condamner l’inaction climatique. Il existe à cet égard un contentieux croissant et ce, à travers le globe ;
  • le droit comme frein contre l’action climatique : dans certains cas, le droit empêche l’action contre l’action climatique. Il stabilise les comportements et activités émettrice de gaz à effet de serre, freinant ainsi le changement. Il s’agit par exemple des subsides aux énergies fossiles ou des règles de standing trop strictes, empêchant certain recours contre l’inaction climatique ;
  • le droit comme étant mis à mal par le changement climatique: finalement, le changement climatique, que ce soit par ses impacts ou par l’introduction de mesures visant à l’atténuer ou s’y adapter, met à mal les catégories existantes. Ceci pose notamment des questions de qualification, de cohérence interne et d’effectivité. C’est le cas par exemple du droit des assurances ou du droit des obligations.

Ces distinctions montrent l’importance d’intégrer les questions climatiques, et plus largement de transition écologique, dans les cursus des étudiants en droit. En outre, elles peuvent déjà servir de point de départ pour débuter une réflexion à cette fin. Pour initier cette réflexion, nous proposons les actions suivantes :

  • Rendre obligatoire au moins un cours sur le droit et la transition écologique/durable, en ce compris dans sa dimension climatique ;
  • Casser les silos en intégrant les questions de la transition écologique/durable de manière systématique et obligatoire dans les différents cours ;
  • Offrir une formation pour l’ensemble des Professeur.e.s à cette fin ;
  • Offrir une formation continue pour les praticiens déjà diplômés.

Ceci pourrait se faire à l’échelle de plusieurs universités, pour minimiser les couts. Vu l’inévitable enchevêtrement des disciplines en matière de transition écologique, il apparait central de considérer l’intégration d’autres disciplines que le droit.

Plusieurs initiatives ont déjà été mises en place et des sources sont disponibles en ligne. Celles-ci pourraient servir d’inspiration et/ou de base à une révision du cursus.

A titre non exhaustif :

Fanny Vanrykel

Sur l'auteur : Fanny Vanrykel est Docteur en droit de USL-B & ULiège. Le 25 octobre 2022 elle a défendu avec succès à l'Université Saint-Louis de Bruxelles sa thèse de doctorat sur "The illusive simplicity and straightforwardness of carbon taxes: a legal analysis".